Une époque exquise… Le titre a de quoi faire sourire ou grincer des dents quand on sait que le roman de Dawn Powell est paru pour la première fois en 1942. L’histoire se déroule à New York au début des années quarante juste avant l’entrée des Etats-Unis dans le conflit. Si en arrière-plan la guerre sévit dans la lointaine Europe, il est surtout question, dans le roman, de la haute société new-yorkaise, de ses rites et hypocrisies.
Emergeant avec peine d’un échec sentimental, la provinciale Vicky Haven monte à New York dans l’espoir d’oublier ses malheurs. Elle y retrouve Amanda Keeler, une ancienne camarade de classe de leur Ohio natal qui a réussi à se faire épouser par le magnat de la presse Julian Evans. Alors qu’Amanda est une femme de pouvoir, mondaine, ambitieuse, égoïste et manipulatrice, la candide Vicky est l’incarnation de la douceur et de la bienveillance. A son arrivée, Amanda s’empresse de louer à sa petite protégée un appartement et de lui trouver un emploi. Mais derrière cette sollicitude affichée se cache un intérêt particulier : durant la journée, dans le studio de Vicky, Amanda peut recevoir en toute discrétion un ancien amant qu’elle est bien décidée à reconquérir. Les choses ne se passent pourtant pas comme Amanda le voudrait : Ken Saunders, le soupirant éconduit, lui résiste et Vicky n’est pas longtemps le dindon de la farce. La jeune oie blanche se révèle suffisamment retorse pour occuper le terrain à son tour, et risquerait bien de faire de l’ombre à la terrible Amanda.
Présenté ainsi, le roman peut sembler accumuler les clichés : deux amies que tout oppose (la jeune gourde provinciale contre la femme fatale) et un retournement de situation finale somme toute assez attendu. Pourtant il est avant tout une chronique acerbe de la presse, de ses jeux d’influence, de séduction et de pouvoir. Il est aussi le reflet de la vanité d’une bonne société élitiste qui sauvegarde avec férocité ses privilèges. Enfin, le roman du haut de ses 67 ans n’a pas pris une ride ! La plume vive et caustique de Dawn Powell y est pour beaucoup : elle nous entraîne en un tournemain dans ce tourbillon satirique et impertinent.
Après le plaisir de posséder des livres, il n’y en a guère de plus doux que d’en parler. Comment ne pas donner raison à Charles Nodier. Lisez ce charmant roman et prenez du plaisir à en parler autour de vous...
Une époque exquise, Dawn powell, traduit de l’américain par Anouk Neuhoff, Quai Voltaire, 422 pages.
À signaler que les éditions 10/18 publient dans la même veine un autre roman de Dawn Powell, Le café Julien.
(Article paru dans le Vif/L'Express du 26 juin 09)
26 juin 2009
Féroce et facétieux
24 juin 2009
Histoires de solitude
Onze histoires de solitude, Richard Yates, traduit de l’américain par Jean Rosenthal, Pavillons poche, 364 p. (Article publié dans le Vif/L'Express du 19 juin 09)
23 juin 2009
Adoption réussie
L’Homme qui m’aimait tout bas raconte aussi la mort de ce père adoptif, par balle, 40 ans plus tard. Livre bouleversant sans être triste, le récit met le doigt sur la complexité des sentiments face au suicide d’un proche et sur les fissures de l’existence humaine, au travers d’une écriture intime et affective qui sonne particulièrement juste.
L’Homme qui m’aimait tout bas, Eric Fottorino, Gallimard, 148 p. (article publié dans le Vif/L'Express du 19 juin 09)
18 juin 2009
Charmant best-seller
Le roman est l’occasion d’en apprendre davantage sur les conditions de l’occupation allemande sur l’île, et sur l’état d’extrême pauvreté et d’isolement dans laquelle les insulaires se sont retrouvés pendant toute la durée du conflit.
Roman épistolaire à l’humour farfelu et à la grâce désarmante, on comprend qu’il fasse partie depuis 9 mois des meilleures ventes aux Etats-Unis, et qu’il soit par ailleurs déjà traduit dans une vingtaine de langues.
Le Cercle littéraire des amateurs d’épluchures de patates, Mary Ann Shaffer et Annie Barrows, traduit de l’américain par Aline Azoulay-Pacvon, Nil, 391 p.
17 juin 2009
50 ans de poésie
Le Promenoir magique et autres poèmes 1953-2003, par J-C. Pirotte, La Table Ronde, 916 p.
À signaler chez le même éditeur la sortie d’un très bel essai de Pol Charles, Les Légendes de Jean-Claude Pirotte.
(Article paru dans le Vif/L'Express du 12 juin 2009)
15 juin 2009
Les anges déchus
Et d’en croire Charles Baudelaire : le beau est toujours bizarre. Ici les bizarreries sont légion et les monstres de foire affichent une beauté singulière, touchante à force d’étrangeté. Mais la vraie laideur – celle du cœur - se cache dans les replis de l’âme humaine davantage que sous les écailles des bêtes improbables: la pire des créatures, capables des plus sordides atrocités, c’est bien entendu l’humain. Qu’il soit adulte ou enfant, il se révèle le plus féroce des prédateurs... « Depuis des millénaires, il (l’homme) piétine, lapide, lacère, torture patiemment, pend haut et court, électrocute, fusille, bombarde, extermine, empoisonne et justifie toutes ses atrocités par ses normes imbéciles. (…) Il n’a pas l’air dangereux en cet instant où il vous regarde terrifié et pleurnichard. (…) Mais ne vous y fiez pas. De grâce ! Car dès qu’il sera en nombre, il cherchera à imposer son criminel conformisme » (p.18).
En refermant le recueil, on ne peut s’empêcher de se poser la question : sommes-nous pervers à aimer pareilles histoires ? À l’image des contes cruels pour enfants sages, s’agit-il d’une purge ? D’un vaccin salvateur?... Heureusement à en croire la phrase qui clôt le recueil, tout n’est pas si noir : « Puis, tu trouves simplement les gestes qui balaient la folie des hommes » (p.236).
Une esthétique de la cruauté, un humour acéré et une écriture enlevée, tels sont les ingrédients que condense le recueil de Dominique Maes… Un plat à la saveur épicée !
Monstres, Dominique Maes, Luce Wilquin, 237p.
[1] Spécialiste des monstres.
12 juin 2009
Un grand roman italien
Mort depuis dix ans, le cinéaste, metteur en scène et critique de cinéma Mario Soldati est considéré comme l’un des plus grands romanciers italiens contemporains. Les éditions Le Promeneur s’emploient depuis quelques années à rééditer ses romans en français, dont récemment L’incendie paru originellement à Milan en 1981. S’il est question dans ce livre de création artistique, il est aussi question d’amitié, de consécration et d’une bizarrerie. Ou comment un amateur d’art, Vitaliano Zorzi, se prend d’une véritable passion pour un petit tableau nommé L’Incendie d’un peintre encore inconnu. Il l’achète et rencontre l’artiste, un certain Mucci. Très vite des liens d’amitié se nouent entre les deux hommes, et devant l’imminence d’un départ pour l’Afrique, le peintre lui vend la totalité de ses tableaux. Deux ans plus tard, Mucci décède dans un accident de voiture au Congo, et sa cote s’envole. Si la mort de son ami affecte profondément Zorzi, elle lui permet de faire une affaire juteuse. Seulement voilà, un des tableaux du maître pose problème : Mucci y a peint un barrage qui n’existait pas encore avant son départ pour l’Afrique…
Si Soldati possède un réel sens de l’intrigue, il est aussi doué d’une grande sensibilité esthétique et d’une étonnante faculté à analyser l’âme humaine. Très beau roman, raffiné et touchant.
L’Incendie, Mario Soldati, traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Le Promeneur, 247p. (Article paru dans le Vif/L'Express du 29 mai 2009)
9 juin 2009
Portrait sensible
Le Remplaçant est un texte personnel et particulièrement abouti. Il dévoile en finesse une facette de l’imaginaire de la romancière et met l’accent sur son rapport à la mémoire et aux fantômes qui la peuplent.
Le Remplaçant, Agnès Desarthe, Olivier, 87p.