16 janv. 2013

Le premier oublié


Madeleine sort d’un supermarché les bras chargés de courses ; elle s’apprête à rejoindre sa voiture, quand elle se rend compte qu’elle ne se souvient pas de l’endroit où elle l’a laissée. Ce n’est pas grave, ça arrive à tout le monde : d’ici quelques secondes, ça va lui revenir. Mais rien. Les minutes passent. Madeleine commence à parcourir les allées de voitures pour la retrouver. Le désarroi se mue en panique lorsqu’elle réalise que le problème n’est pas d’avoir oublié où elle l’a mise mais de savoir si sa voiture est une petite auto rouge ou un gros monospace bleu. Un gouffre s’ouvre devant elle : que lui arrive-t-il ? Déni oblige, très vite, elle se reprend : mais oui, il suffit de téléphoner à Max, son mari. Elle cherche dans le répertoire de son téléphone. Mais rien entre Manucure et Médecin. Pas de Max. Son fils prévenu par téléphone et très étonné lui apprend que Max est mort un an auparavant...

Avec ce cinquième roman, Le Premier oublié, Cyril Massarotto signe un récit poignant sur la maladie d’Alzheimer. Il alterne deux points de vue : celui de Madeleine et celui de son fils Thomas. L’auteur explore l’angoisse de la malade lorsqu’elle réalise qu’elle commence à perdre la tête et qu’elle finira inexorablement démente. Toute la question étant de savoir comment on vit avec l’idée que l’avenir se résume à une lente décrépitude, sans plus d'espoir possible.

L’auteur montre aussi les ravages de la maladie sur l’entourage : crainte, chagrin, découragement, colère. Si Madeleine oublie progressivement sa vie et ses proches, à s’occuper d’elle à temps plein, Thomas aussi s’oublie : il n’écrit plus, il ne voit plus personne et met toute sa vie entre parenthèse. Pourtant son choix est évident, il ne se pose guère de question : il veut être à ses côtés, quelles que soient les implications que cela suppose.  

Cyril Massarotto a la sagacité de parsemer son texte de nombreuses touches d’humour (ce que je ne parviens précisément pas à faire  en vous parlant de ce roman :-)) qui allègent le propos et rendent d’autant plus prégnante la gravité de la situation, l’intensité de cet amour filial et l’amertume qu’engendre une pareille déstructuration. En effet, Thomas sera le premier oublié : le premier de ses trois enfants que Madeleine ne reconnaîtra plus.

Le premier oublié, Cyril Massarotto, XO Editions, 235 p.

11 janv. 2013

Bilan de l'année 2012 (et de ce début 2013): 11 livres à découvrir!

Le temps file ! 6 mois ont passé depuis ma dernière chronique sur ce blog. Je ne suis pas fière de mon manque d’assiduité… Pourtant les lectures n’ont pas manqué. Parmi les meilleures d’entre elles, j’aimerais attirer l’attention sur quelques jolies pépites.
 
Tout d’abord, le tout nouveau roman de David Foenkinos, Je vais mieux, paru chez Gallimard. Le personnage principal, narrateur de l’histoire, est un homme de quarante ans pour qui tout va bien: il est marié (entre Elise et lui, ce n’est peut-être plus la passion des débuts mais c’est en tout cas un amour serein teinté d’une tendre complicité), père de famille (deux enfants adultes avec qui il entretient une entente affectueuse), architecte dans un gros cabinet où il est apprécié. Bref, tout semble « rouler ». Jusqu’à une journée de dimanche où il commence à avoir mal au dos. Dès le lendemain, il se rend aux urgences, tracassé par cette douleur aussi soudaine qu’inattendue. S’en suit alors au fil des jours le parcours du combattant d’un malade en quête de diagnostic. Ou comment radio, IRM et scanner n’objectivant rien, le personnage consulte sans résultat spécialiste sur spécialiste, ostéopathe sur gourou, sans voir aucune amélioration se profiler. Et comme si la douleur n’était que le sommet de l’iceberg, il perd son boulot, sa femme le quitte et sa fille lui tourne le dos. Gratuite descente aux enfers ? Certes non, David Foenkinos a plus d’un tour dans son sac et parvient à sublimer ce qui pourrait n’être qu’une banale affaire de malchance en un onzième roman subtil sur le monde moderne et sur la difficulté des relations humaines.


Autre roman qui a fait grand bruit et qui se laisse dévorer comme du pain chaud: La Vérité sur l'affaire Harry Quebert du Suisse Joël Dicker, qui s'est vu décerner le Prix Goncourt des Lycéens 2012 et le Grand Prix du Roman de l'Académie fraçaise 2012. On en a déjà tant parlé que je ne vais pas en résumer ici l'histoire. Le mieux est de se laisser embarquer sans a priori dans cette intrigue. L'écriture est efficace, le suspense bien maîtrisé et la construction atrayante. Ne boudons pas notre plaisir et filons au plus vite au coeur du New Hampshire.    



 
 
Au niveau des bandes dessinées, dans la série Grande Évasion, Delcourt sort un one-shot particulièrement réussi : Fatman. Aux commandes du scénario un David Chauvel en grande forme et au dessin, le très doué Denys. Fatman, comme son nom l’indique, est obèse. Il est aussi le roi de l’évasion (étonnant vu sa bedaine). Après avoir passé plusieurs années de sa vie en prison, il vit tranquillement en Angleterre, sans demander son reste. Il passe ses journées à promener le chien de sa logeuse (la vieille madame Hutchinson) et à boire des bières. Jusqu’au jour où deux gros bras américains débarquent chez lui et le recrutent de force (sinon ils tuent la vieille) pour faire évader un parrain de la mafia new-yorkaise… Jusque-là rien que du très classique pour un polar. Et pourtant à y regarder de plus près, on se rend vite compte que rien ne tourne comme on s’y attend et surtout que c’est beaucoup plus drôle que ce à quoi le genre nous a habitués. Je n’en dis pas plus, à vous de découvrir les tenants et aboutissants de ce formidable thriller, alliant graphisme cinématographique et coups de théâtre haut de gamme.         



Au niveau du livre jeunesse, la Belge Françoise Rogier a imaginé et illustré un album pour enfant drôle et effronté, intitulé C’est pour mieux te manger et paru aux éditions L’Atelier du Poisson soluble. L’auteure revisite avec talent et avec humour le conte du Petit Chaperon rouge tout en y mêlant en filigrane un deuxième conte. Le résultat est étonnant, d’autant que le texte est soutenu par des illustrations inventives et impertinentes qui sont le reflet d’un univers tout à fait singulier.





Au niveau des livres de poche, j’ai dévoré Mille femmes blanches, un roman vieux de mille ans que je n’avais toujours pas lu (enfin j’exagère un peu, il est sorti en version française en 2000, il y a donc 13 ans). On le doit à l’auteur américain Jim Fergus et il n’est plus disponible qu’en Pocket (n°11261). L’histoire ô combien palpitante est celle de plusieurs femmes qui se portent volontaires (le plus souvent pour échapper à la prison ou à un asile psychiatrique) pour épouser un Cheyenne et passer deux années au milieu des « sauvages ». Le but étant l’intégration des descendants de ces unions mixtes dans la civilisation blanche. Le point de départ de cette fiction est une visite (réelle celle-là) de Little Wolf, chef cheyenne, à Washington en 1874. Que s’est-il dit entre le président Ulysses S. Grant et Little Wolf, nul ne le sait mais Fergus imagine un échange de mille femmes blanches contre mille chevaux… Si le propos peut paraître barbare (sans mauvais jeu de mot…), l’histoire est passionnante et permet de se faire une idée des us et coutumes indiennes et de voir à quel point les Indiens se sont fait gruger par les Blancs.


Et sinon qu’est-ce qui a encore émergé du lot durant cette année 2012 ?

Rapidement et en vrac:


1) Le roman Loin des mosquées du Belge Armel Job (Robert Laffont). En évitant clichés et jugements, l’auteur met en scène la communauté turque de Belgique et d’Allemagne. Au-delà des rites et des coutumes, il met l’accent sur les arrangements avec l’amour, et la place des femmes dans le cœur des hommes et dans la société. Pour autant, il ne se voile pas la face (sans mauvais jeu de mot) puisque le romancier n’hésite pas à aborder le problème de l’intégrisme religieux et des crimes d’honneur.
 

2) À souligner aussi la sortie du deuxième roman de la Belge Véronique Sels Bienvenue en Norlande chez Genèse Editions. Même si ce genre de récit d’anticipation (avec son petit côté « science-fiction ») comporte une part de déjà-vu, reconnaissons que le texte est à la fois drôle et absurde, dramatique et irréel. Madame Sels a par ailleurs une jolie plume qui met en lumière les travers d’une société hautement technologique. Pour faire court, elle met en scène un jeune étudiant parisien parti faire une année d’étude en Norlande, pays imaginaire coincé entre la France, La Belgique, le Luxembourg et l’Allemagne où la criminalité est réduite à zéro grâce à un système de casier judiciaire à points (à l’image du permis de conduire à points). Paul va rapidement se frotter aux caméras de surveillance et découvrir que derrière la gentillesse factice (et calculée) de ce peuple de végétariens amateurs de flans au caramel se cache un état policier qui fait froid dans le dos. En refermant le roman, on se dit que le plus étonnant dans tout ça, c’est la réaction du héros : il est apathique devant ce qu’il voit, il ne dénonce rien et il se range, comme si l’impunité qui le frappe à la fin de  l’histoire l’anéantissait davantage qu’une correction méritée. Comme quoi la psychologie humaine recèle de drôles de paradoxes !

3) Du côté des belges toujours, notons la parution de L’audition du docteur Fernando Gasparri de Giuseppe Santoliquido, La Renaissance du livre/grand miroir : dans le contexte des grandes grèves de 1932, de l’immigration italienne en Belgique et de la montée du fascisme, le roman pointe le choix que tout homme est amené à faire à un moment donné dans la situation qu’il occupe. Livre salutaire si on veut éviter de retomber dans les ornières de l’histoire (mais oups, terrain glissant, il semble qu'on peut se faire taper sur les doigts en écrivant de telles choses... ).
 


4) À noter encore, le très beau roman de Jean Echenoz, 14, paru aux éditions de Minuit : comme son titre l’indique, il est question de la guerre de 14. Mais selon une approche très éloignée des sentiers battus.
 







5) Si on vise d’autres horizons, il y a l’interpellant livre de la Rwandaise Scholastique Mukasonga, Notre-Dame du Nil paru chez Gallimard (prix Renaudot). L'auteure Tutsi a perdu toute sa famille lors du génocide. Son roman montre comment au sein d'un pensionnat de jeunes filles qu’on pourrait espérer protégé des tensions politiques et raciales, la haine anti-tusti grandit petit à petit, l'air de rien...
 



6) Sinon, autre livre engagé (qu'il faut lire !), c'est le dernier Jean Ziegler sur l’épineux problème de la faim dans le monde. L’ouvrage de Monsieur Ziegler a d’abord un intérêt informatif : il nous explique dans les moindres détails ce qu’est la sous-alimentation, où ça se passe, pourquoi elle existe. Il n’hésite pas à critiquer la lenteur des Nations Unies et de certains organismes non gouvernementaux qui sont englués dans l’administratif. Ensuite il nous donne la preuve qu’on peut y remédier pour autant qu’il y ait une réelle volonté politique puisque finalement le problème est moins géographique que politique (que ce soient le principe de monoculture, l’exportation massive, la mainmise des trusts agroalimentaire sur les états, etc.). Donc si le sujet est certes difficile et poignant, le livre n’est pas déprimant : l’auteur a le don de croire malgré tout en la nature humaine, il ne cesse d’espérer qu’un jour les hommes auront assez de jugeote pour cesser de ne penser qu’à l’argent, et qu'ils admettront qu’il y a assez de ressources sur terre pour nourrir tout le monde. À lire donc, Destruction massive paru au Seuil.
 
7) Et pour finir,  l'auteur Eric-Emmanuel Schmitt (que je n'avais plus lu depuis trèèèèès longtemps et dont je ne raffole pas en général) a pubié une nouvelle magnifique, « Le chien », dédiée à Lévinas, qui mérite à elle seule l’achat du recueil Les deux messieurs de Bruxelles. Pour ceux qui aiment écouter des livres lus, sachez qu'Audiolib sort le recueil sous format MP3 (6h d'écoute!) le 16 janvier 2013 (textes lus par l'auteur lui-même).