Le dernier roman de Belinda Cannone nous ouvre les portes d’un univers étrange et fascinant : celui de l’hyperacousie. Jodel souffre de cette étonnante maladie : il entend des sons infimes avec une précision inouïe. Il perçoit sans mal le pas saccadé des fourmis ou le chuintement des couleuvres. Le moindre vrombissement de mobylette lui vrille les tympans. Si Jodel est assailli par la brutalité sonore du monde, il a mis son handicap au service de la recherche scientifique puisqu’il est ingénieur en physique des sons. Il passe ses journées dans un local insonorisé à analyser des enregistrements pour la sûreté nationale. Sa vie privée est à l’image de sa vie professionnelle : réglée comme du papier à musique, solitaire et étriquée. Jusqu’à sa rencontre inopinée avec Jeanne, une gamine de 12 ans, chez qui il détecte la même faculté. Une grande complicité naît entre eux : espiègle et perspicace, Jeanne lui fait découvrir les joies de l’amitié tandis que Jodel lui apprend à isoler les sons pour les comprendre. Autre rencontre inattendue : celle d’Oulan, un marginal venu de Mongolie qui fait découvrir à Jodel le monde globalisé, les guerres et leurs idéologies. L’occasion pour la romancière d’ouvrir son roman à une réflexion politique et sociétale. Au-delà du constat amer qu’elle dresse sur la misère humaine, elle pose cette question intime : comment trouver sa place quand on n’est pas dans la norme, sans pour autant trahir sa différence ? Elle décrypte en effet chez son personnage les remous d’une âme torturée : en plus de son hyperacousie, Jodel est soumis à une forme d’hyperacuité aux tensions qui l’entourent. Il est comme une éponge qui capte les émotions et les chagrins. Mais s’il est question de détresse, l’auteure nous entraîne, par l’entremise de la mère de Jeanne, compositrice de talent, dans un monde musical : un univers ouateux et mélodique fait de notes et d’arpèges, véritable baume pour les oreilles de Jodel. L’auteure s’amuse des sons comme des mots et déploie une écriture personnelle qui joue avec de nombreuses parenthèses, sans qu’elles ne soient jamais agaçantes ou superflues. L’imagination ne manque pas dans ce joli roman. Gaston Bachelard de l’affirmer : « Imaginer, c’est hausser le réel d’un ton ». Ici le ton est inédit et particulièrement sensible.
Entre les bruits, Belinda Cannone, Olivier, 269 pp.
Entre les bruits, Belinda Cannone, Olivier, 269 pp.
(Article paru dans le Vif/L'Express du 24 avril 2009)
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