16 mai 2011

Trois livres incontournables






Le Fils, Michel Rostain, Oh! Éditions, 174 pages
Mais ce qui persiste en moi est ce fragment d’inhumanité…, Joël Schuermans, Memory Press, 293 pages
Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire, Jonas Jonasson, Presses de la Cité, 454 pages


Quelle merveille d’enchaîner bonne lecture sur bonne lecture. Ce joyeux concours de circonstance m’est tombé dessus il y a quelques jours. J’ai découvert trois romans magnifiques, coup sur coup : Le Fils de Michel Rostain dont la critique s’est emparé et l’a encensé (à juste titre) et qui s’est vu récemment décerner le prix Goncourt du premier roman ; Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire du Suédois Jonas Jonasson et enfin le magnifique et radical Mais ce qui persiste en moi est ce fragment d’inhumanité… du Belge Joël Schuermans.

Trois bijoux pour trois publics différents. Si Le Vieux qui ne voulait pas fêter son anniversaire s’adapte à tous les profils de lecteurs tant son humour nordique et sa faconde rocambolesque dériderait le plus sinistre croque-mort (même si il y a, selon moi, des longueurs), Le Fils et Mais ce qui persiste en moi est ce fragment d’inhumanité… traitent, chacun à leur façon, d’un sujet délicat. Le Fils raconte la mort d’un jeune homme atteint d’une méningite foudroyante. C’est le mort qui parle : il raconte comment ses parents affrontent sa disparition. Si le propos (la mort d’un fils unique) est douloureux, le traitement qu’en fait Michel Rostain en revanche est tendre et retenu. On pleure à toutes les pages certes mais on rit aussi beaucoup. Derrière la déréliction absolue, il y a l’ironie (sur le marketing, par exemple, qui pointe son nez depuis la morgue jusqu’à la tombe : le choix des poignées du cercueil, la musique stéréotypée au crématorium, etc.).
Par le biais du récit, on réalise à quel point tout deuil s’accompagne immanquablement de regrets, de colère, d’un sentiment d’anéantissement despotique, de la certitude que plus rien de bon ne peut advenir, que tout est fini… et pourtant… la vie continue obstinément. Le soir de la mort de son fils, un ami du père lui dit : « Je ne sais pas si un pareil jour tu peux entendre ce que je voudrais te dire, mais j’ai vécu cette horreur il y a quelques années, ce désespoir absolu. Je veux te dire qu’on peut vivre avec ça ». Donc, on peut vivre avec ça ?!...

C’est, en quelque sorte (même si ça concerne des milliers de morts, et pas LA mort d’un proche), la question que pose Joël Schuermans dans son livre Mais ce qui persiste en moi est ce fragment d’inhumanité… : peut-on vivre après avoir assisté aux atrocités du génocide rwandais ? Peut-on être sain d’esprit après avoir vu, par milliers, des femmes violées, des enfants découpés en morceaux, des hommes torturés de la façon la plus abominable qui soit. Peut-on gérer de tels souvenirs ?
L’auteur nous entraîne sur les traces de son personnage, Simon, un para-commando des forces belges qui se trouve à Kigali en avril 94 pour une mission de l’ONU. La ville est calme, les forces onusiennes font acte de présence ; les humanitaires, quant à eux, vaquent à leurs occupations en journée et se retrouvent le soir au café "Chez Lando". On fait la fête, on boit, on s’envoie en l’air avec des petites Africaines et on lorgne sur les expatriées blanches qui sont en nombre restreint. "Tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes…"
Le calme avant la tempête. Et quelle tempête !... Une tornade qui frappe le lecteur autant que les protagonistes de l’histoire : de plein fouet et dans sa crudité la plus noire. Le soir du 6 avril 94, rien ne se passe comme prévu. Simon patrouille dans la ville quand ses hommes entendent une déflagration: en plein vol, l’avion du président Habyarimana vient d’exploser sous l’assaut de deux missiles sol-air. Très vite, des barrages apparaissent dans toute la ville et dans les campagnes avoisinantes. La Radio Libre Mille Collines répand son message de haine à l’égard des Tustis. Simon dirige ses hommes comme il peut, ils ont trop peu de munitions (premier manquement international) face à des rebelles hutus armés jusqu’aux dents ; et ne reçoivent aucun ordre clair de leur hiérarchie. C’est le chaos. « Partout des familles tutsis entières égorgées, des bras, des pieds, des têtes coupées gisaient au milieu des rues, dans les porches des maisons, sur les trottoirs ». Après quinze jours de cauchemar et dix Casques bleus belges assassinés, Simon et ses hommes sont enfin rapatriés en Belgique. Mais Simon se reproche de partir en abandonnant la jolie Fortunée, une étudiante tutsi avec qui il a sympathisé. Il regrette aussi la jolie Italienne, Chiara dont il n’a nulle nouvelle. Que sont devenues ces deux femmes ?
Commence alors pour Simon une lente descente aux enfers, entre la culpabilité, le dégoût de soi, un déséquilibre mental qui le guette et la recherche désespérée de l’amour comme consolation. Joël Schuermans parvient à dire l’horreur des faits, tout en montrant la sensibilité de son personnage : un écorché vif, un malade de l’amour, un mec fragile et doux, un type sympa qu’on aurait envie d’avoir comme ami mais qui n’est plus capable d’amitié : il en a trop vu. « C’était désormais à chacun de nous, seul, de vivre avec ça ». On sort de ce roman KO, abasourdi, presque aussi marqué que le personnage. On a envie d’avoir une baguette magique comme dans les contes pour enfants où tout finit bien (pas chez Perrault, chez les autres, dans les versions édulcorées) avec laquelle on soufflerait un vent de paix sur le monde. Finies les guerre, finies les mutilations, terminés les tortures, les viols, les exploitations de femmes et d’enfants. Mais les baguettes magiques, ça n’existe pas ; l’être humain a toujours été dominé par l’esprit de compétition et la recherche du pouvoir. Et ce n’est pas demain que ça changera. Que faire ? Témoigner comme le fait Joel Schuermans, par le biais de la littérature. Et lire. Pourquoi pas….



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